Pierre Karli : « Toute explication simple n’explique rien ».
Invité par l’association Citoyenneté et Démocratie locale à donner une conférence-débat à la Salle des fêtes de Brumath, le 7 mars dernier, sur les « origines multiples des comportements violents », le professeur Pierre Karli a été clair dès le début de son propos. « Je n’admets pas que l’on « biologise » ou que l’on « médicalise » ce qui n’a pas à l’être ». Et de refuser de considérer les problèmes selon le principe que « tout est génétique ». Heureusement aura-t-on pu penser car sinon il n’y aurait plus eu de débat face à un fatalisme naturel.
Neurobiologiste et médecin, membre de l’Académie des sciences, et ancien président de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg, l’orateur a toujours tenu à faire la part entre ce que la biologie nous apprend des comportements des animaux et des êtres humains et, surtout, à marquer la différence entre l’Homme et l’Animal. En effet, si l’histoire des espèces animales est fondée sur la satisfaction des besoins proprement biologiques, chez les êtres humains l’histoire culturelle (ou l’histoire des idées) est venue se greffer à l’histoire biologique. D’où la prudence dans les extrapolations sur le sujet de la conférence. Les comportements violents n’ont-ils pas donné lieu, eux aussi, à des idées fumeuses faisant référence à la science du cerveau. Pierre Karli a rappelé quelques cas exemplaires de savants qui s’étaient fourvoyés dans de telles directions en croyant avoir trouvé la zone cervicale propice au meurtre, les caractéristiques génétiques du « criminel-né », le « chromosome du crime »… Or, rien de tel n’a jamais pu être révélé. Il s’agit de fabulations où il apparaît que « le crime est dans les âneries ».
Et l’orateur de rappeler que les comportements violents ou d’agression font partie des moyens d’expression et d’action dont disposent les personnes et que certaines ont font plus usage que d’autres en raison d’éléments biologiques certes, mais aussi et surtout en raison de leur personnalité incluant l’éducation et la culture, ainsi que des situations dans lesquelles elles se trouvent. Pierre Karli a insisté sur les origines essentiellement affectives des comportements dont ceux en lien avec l’agression, notamment face à une menace, une frustration ou une provocation. Et de montrer l’importance du niveau émotionnel scientifiquement constaté chez les « rats tueurs » qui ont été l’objet de nombreuses expériences dans le laboratoire qu’il avait dirigé comme chercheur à Strasbourg. En particulier quand on leur enlève le « septum », une zone du cerveau connue pour pondérer les émotions… Les rats non habitués à rencontrer une souris dans leur cage avant cette ablation, tuent « l’étrangère » dont ils ont peur. Il s’agit dans ce type d’expérience d’un cas de « néophobie », de la « peur du nouveau », de l’étranger… Et Pierre Karli de souligner le rôle précoce de l’habitude dans les relations animales… Le rat dont on a enlevé le septum ne tue pas la souris avec laquelle il a été élevé.
Concernant l’être humain, le facteur essentiel dans les observations de comportements agressifs réside dans la vie familiale et les attitudes parentales… On ne trouve pas d’origines biologiques, génétiques, sociales ou culturelles stricto sensu à ces comportements alors que les attitudes négatives ou d’indifférences des parents à l’égard de l’enfant peuvent avoir des conséquences plus ou moins graves. Notamment quand l’enfant n’apprend pas à gérer ses émotions et qu’il ne trouve pas d’obstacle à ses désirs dans un contexte de permissivité. Mais les facteurs liés aux situations sont également nombreux à l’instar de ceux concernant l’urbanisation démesurée et/ou anarchiques ayant supprimé les solidarités de promiscuité et accentué la solitude, ou encore de ceux touchant à la vie sociale qui s’est complexifiée tout en favorisant la convoitise telle que développée par la société de consommation suscitant le « désir mimétique » ou l’on incite le consommateur à « tout avoir et tout de suite ». Et Pierre Karli de donner des exemples de messages publicitaires allant dans ce sens. Les slogans et les images ne sont pas innocents. « Si je ne cherche que le plaisir matériel dans tout ce que l’on me propose, je ne partage rien, je convoite ». Il n’y a donc pas lieu d’être surpris que l’agression puisse devenir un instrument pour obtenir quelque chose, et qu’elle puisse être même considérée positivement car « payante »… Et de citer tel président de club de football célèbre qui veut recruter non plus des joueurs compétents mais des « guerriers », mais aussi des jeux vidéo en vogue qui valorisent l’agressivité comme mode de relation et de satisfaction des désirs… ? « Certains jeux devraient être interdits » a directement affirmé Pierre Karli dénonçant un « bain culturel » qui, au cinéma comme à la télévision, banalise et valorise la violence.
Pour le scientifique impliqué dans la vie sociale à Strasbourg où il a créé voici quatre ans l’Institut pour la promotion du lien social (IPLS), une association de droit local dont l’intitulé résume le projet, l’attitude générale d’une communauté humaine contre la violence passe à la fois par la réprobation collective effective et par la reconnaissance de l’autre ou des autres. Dans une société, les personnes et les groupes ne peuvent s’ignorer les uns et les autres et les liens entre eux jouent un rôle préventif primordial face à l’émergence de comportements agressifs. Et de conclure, après avoir répondu à des questions et à des témoignages personnels de participants, et en références au contexte sécuritaire national et de guerre annoncée au Proche-Orient : « toute explication simple n’explique rien et toute solution simple ne résoud rien ».
La prochaine conférence-débat aura lieu vendredi 14 mars, à 20h, à la Salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville de Brumath. Le professeur Michel Tardy, déjà présent à la conférence de Pierre Karli, traitera à son tour des « différentes formes de violence dans la société ». Mais sous l’angle de sa spécialité, les sciences de l’éducation.