L’avancée en âge et la solidarité

Avec l’espérance de vie qui s’accroît et l’augmentation du nombre des personnes à la retraite, on ne peut plus assimiler la « non-activité » au seul vieillissement. Si le contexte démographique a changé en deux générations, celui des représentations culturelles ou de l’imaginaire collectif aussi. La place que les « personnes âgées », « seniors » ou « aînés » occupent dans la société témoigne de cette évolution. L’univers publicitaire la traduit aussi à sa façon vis à vis d’un public de plus en plus considéré comme dynamique et « consommateur » de biens et de services.

Des retraités actifs et sollicités

Intervenant dans le cadre des conférences-débats organisées par l’association Citoyenneté et démocratie locale, le Dr Anne-Marie Gitz, a présenté mardi 9 décembre dernier dans la Salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville de Brumath, un large tour d’horizon sur le sujet de « l’avancée en âge ». Responsable du diplôme de gérontologie générale à la Faculté de médecine de Strasbourg, elle a notamment expliqué pourquoi les expressions anciennes ne sont plus adéquates pour désigner un public caractérisé par le fait qu’il n’est plus ni jeune, ni actif au sens économique du mot. Or, dans le monde occidental actuel, les vrais vieillards, ceux qui rencontrent les problèmes de santé de « fin de vie », et qui nécessitent l’organisation d’une solidarité sociale effective, sont de plus en plus dans la tranche d’âge allant au-delà de 85 ans.

Avant, soit entre 70 et 85 ans, si la fatigabilité gagne du terrain dans l’activité quotidienne et si l’organisme se fragilise on peut, sauf accident, avoir encore une vie intéressante et utile, notamment sur le plan de l’épanouissement personnel et familial, ne serait-ce qu’avec ses petits-enfants. Quant à la première période, celle qui suit la retraite, et dans la mesure où celle-ci est bien préparée, elle est marquée par un dynamisme réel sur le plan relationnel. Les « jeunes retraités » n’ont jamais été aussi actifs et sollicités, tant sur le plan de la société de consommation où ils constituent un public intéressant et solvable que sur le plan social… Beaucoup sont animés d’un désir d’épanouissement personnel, notamment par rapport à ce qu’ils n’ont pas pu faire au cours de la vie active…

Prévoir son propre vieillissement !

Si l’espérance de vie à la naissance est de nos jours de 83 ans pour les femmes et de 75 ans pour les hommes, elle augmente toujours. On compte un gain d’un trimestre par an. En 2020, l’espérance de vie à 60 ans sera de 28 ans pour les femmes et de 23 ans pour les hommes… C’est dire que l’avancée en âge est une réalité avec de nombreuses implications sur les plans des relations intergénérationnelles et de la solidarité. A l’échelle d’une vie, la période dite de « non-activité économique » ne fait que croître. Toute la question de l’avenir est de savoir comment l’on se prépare à « l’avancée en âge » en fonction des aléas pouvant se présenter, ne serait-ce qu’avec les maladies du vieillissement dont, par exemple, la maladie d’Alzheimer avec tout ce qu’elle signifie en termes de perte d’identité et d’image de la dégénérescence. Et le Dr Gitz de plaider pour la formation de chacun au vieillissement de façon à le maîtriser et à prévoir ce qui peut arriver et comment y faire face. Ceci autant pour soi-même que pour ses proches…

Pour elle, il appartient à chaque homme et à chaque femme de rester le plus longtemps possible responsable de soi-même et de prendre, pour soi et en fonction de ce que l’on veut, les bonnes dispositions. « Si l’on parle des droits des aînés, il faut aussi rappeler qu’ils ont aussi des devoirs vis à vis d’eux-mêmes et des autres. La solidarité dont on parle va dans les deux sens ! ». Mais le Dr Gitz reconnaît aussi que ce n’est pas forcément toujours facile en raison des différences qui marquent l’éducation, la culture et les valeurs entre les générations. Il y a des personnes qui, en avançant en âge, ferment leurs portes et s’enferment dans la solitude. Les conditions de vie et d’habitation, voire la mobilité professionnelle des enfants, les déconstructions ou reconstructions familiales au cours d’une vie, modifient bien des aspects du lien social de ces personnes… Or, la richesse de ce lien est une condition indispensable pour une meilleure fin de vie dans un environnement humain encore trop caractérisé par l’individualisme.

Les problèmes des « grands vieillards »

Si les observations relatives à l’évolution démographique sont largement connues, elles n’en ont pas moins été traduites en termes d’équipements d’accueil des « grands vieillards ». C’est à dire de ceux qui, inévitablement, ne pourront plus, malgré les dispositifs mis en place pour l’extension de l’aide à domicile, la formation des aidants, professionnels ou bénévoles. La génération du « baby-boom » de l’après-guerre va être confrontée à l’insuffisance des équipements spécialisés, notamment pour la tranche qui atteindra le « grand âge » avec ce qu’elle signifie en termes de dépendance et de perte d’autonomie… Et le Dr Gitz de plaider pour la création de « petites unités » de vie ne dépassant pas les effectifs de 120 personnes ainsi que pour l’augmentation du nombre des professionnels (aidants et infirmières spécialisées…).

Sur ce plan, le manque de personnels est connu de puis longtemps. Plusieurs participants l’ont aussi rappelé au cours du débat. De même pour les risques de l’emprise de l’économie auprès d’un groupe de population. Les inégalités sociales peuvent s’accroître au niveau de l’accès dans les établissements privés de plus en plus sollicités. Une bonne part des échanges a aussi porté sur des questions pratiques et le Dr Gitz a chaque fois souligné l’importance des liens personnels et de la considération qui en résultent pour les plus âgés. En réponse à une question finale, elle a regretté que les médecins libéraux ne se forment guère en gérontologie et aux problèmes spécifiques du vieillissement. Mais, là aussi des changements peuvent intervenir.